Des Zep's à la boum : Rancho, l'histoire d'une baroudeuse aux deux visages
Si on parle aujourd'hui de la Matra-Rancho, on nous la présente comme un chef-d’œuvre de l'avant-garde automobile, comme un concept visionnaire : La Rancho aurait préfiguré deux vagues de modes, d'abord celle des vans familiaux comme le futur Renault Espace, et après celles des SUV qui sont toujours très présents en France avec des modèles comme la Renault Captur, les Citroëns Aircross et les x008 de Peugeot. Desolé, mais en fait, c'est complètement faux. Ceux qui répètent en boucle ces propos n'ont jamais rien compris du feeling à l'époque... La Rancho a imprimé ses marques d'une toute autre manière, et ça toujours à Paris d'ailleurs : au départ du premier Dakar, sur la route de la première boum de Vic, et lors d'une malaise diplomatique avec l'URSS.
La Rancho est une voiture loisir avant tout
Tout a commencé après '68 quand Brian Jones des Rolling Stones est allé au Maroc. Il connaissait très bien les souks, les plages, ainsi que les lieux où se rendre pour se procurer de la drogue. Jimi Hendrix, Mick Jagger, Cat Stevens, Janis Joplin et Frank Zappa suivaient. Tous ont fit escale à un moment ou à un autre, notamment dans la ville côtière d’Essaouira, devenu assez branchée.
La route vers le Sahara Occidental
Robert Plant du groupe de hard-rock anglais Led Zeppelin connaissait le Maroc depuis 1972, il parle même un peu le Darija, le dialecte arabe marocain. Mais c'est en juin 1975 qu'il a déclenché une vague touristique, quand lui et Jimmy Page ont décidé d'aller beaucoup plus loin. Ils ont essayé de descendre jusqu’au "Sahara Espagnol" comme on disait à l'époque, juste au moment ou la guerre du Sahara Occidental éclatait, cette guerre terrible, ignorée, aujourd'hui oubliée, entre le Maroc, la Mauritanie et le Front Polisario qui durait jusqu'au début des années '90.
"Stairway to heaven", aus sud marocain, à coté d'Erfoud, "L'escalier vers le ciel" (Himmelstreppe) de l'artiste Hansjörg Voth qui voulait relier la terre au ciel.
...Suite : https://www.yabiladi.com/articles/details/66929/arfoud-hannsjorg-voth-l-artiste-allemand.htmde l'artiste Hansjörg Voth qui vouliait relier la terre au ciel.
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Malgré tout, les fans suivaient en masse pour aller fumer des pétards dans l'eldorado marocain.
Restaurant "Jimi Hendrix" à Diabat
On a vu d'abord des nombreux petits villages berbères se transformer en un lieu de rencontre hippie, autrefois devenu légendaire comme Diabat avec ses ruines ensablées d’un vieux palais du 18ème siècle (et oui, c'est "Castles made of sand" de Jimi Hendrix !) au sud d'Essaouira de l'autre coté du Oued Ksob ou Chefchaouen aux flancs herbeux de la montagne du Rif. Et peu après des gens avec un grand soif d'aventure ont cherché de traverser le Sahara et le Hoggar sur d'autres pistes avec des vielles Volkswagen Kombi, des Deuches, des Quatrelles ou autres Peugeot 504 Break...
Les légendes ne meurent jamais
Ces aventuriers qui ont parcouru l'Afrique depuis ont crée le phénomène des Rallye-Raids, le "Côte-Côte" partait ainsi d'Abidjan, la capitale ivoirienne, pour traverser un parcours de 8500 km via plusieurs pays d'Afrique, afin de s'achever sur la promenade des Anglais à Nice. 1977 un certain Thierry Sabine y participait sur sa Yamaha. En Libye, il se perd pendant trois jours et ne sera sauvé qu'en justesse. Alors il imagine un parcours de Rallye-Raid partant de Paris pour traverser le Sahara, jusqu'à la capitale du Sénégal. Après le Jour de Noël de l'année 1978 le premier Paris-Dakar quitte la place du Trocadéro...
Abidjan-Nice, Thierry Sabine y a participé en 1977 sur Yamaha, avant de créer le Paris-Dakar
Un phénomène mondial a été crée, la mode de se balader en voiture tout-terrain. En ce temps-là, la frontière entre le monde des voitures familiales et des 4x4 était nettement délimitée. Ce secteur a été dominé par les anglais et les japonais, notamment le Land et le Range de Rover, le BJ de Toyota ou le Patrol de Nissan. En France les seules Peugeot Dangel 4x4 et les Renault Sinpar n'ont jamais vraiment réussie de combler l'absence de véritable 4x4 chez nos constructeurs nationaux.
Un concept simple
En plus après les heures de crise pétrolière en 1974, le paysage de l’industrie automobile française est totalement redessiné, à cette époque Simca avec une gamme vieillissante travaillait avec Matra qui cherche à élargir sa gamme et sortir avec sa seule Bagheera du créneau des voitures de sport. Alors l'idée d'une "voiture verte" - verte, dans le sens "outdoor", pas écolo - sort des bureaux de concepteurs de Matra à Romorantin, mais ne plaît pas trop au patron, Jean-Luc Lagardère. Finalement Matra se met quand-même au boulot pour lancer sa première voiture de loisirs, la Rancho. Cependant, le budget est très limité, 15 millions de Francs pour le developpement, et ne prevoit pas du tout d’importants coûts de production. En plus ils existent déjà des modèles chez Citroën avec la Méhari ou autres Renault Rodéo, et sur le secteur des vrais 4x4 Lada vient de se lancer avec sa Niva, très bon marché, sans parler de Suzuki.
Chaine de montage chez Matra à Romorantin
La banque d’organes de Simca
Pour se distinguer Matra joue la carte du look original et de la grandeur pour son véhicule de loisir, évoquant les allures du prestigieux Range Rover, notamment avec un coffre à ouverture en deux parties. Look baroudeur et intérieur accueillant, pour l'acheteur la Rancho est une voiture "différente", mais - faut l'avouer - la recette reste simple comme un Lego : une cabine arrière vitrée en polyester vissé sur un châssis du pick-up Simca 1100 VF2.
Le pick-up de Simca, la base de la Rancho
La mécanique restait limitée avec la faible puissance de 80 ch du "moteur Poissy" à 1.448cm3 de la Simca 1308, une boite à seulement 4 vitesses, aussi quelques élements de la Simca 1100 TI. En 1979 le moteur sera dégonflé à 78 ch pour accepter un carburant de qualité ordinaire. Mais les roues avant motrices et la belle garde au sol autorisaient quand-même des balades hors des sentiers battus, profitant de son poids modéré (1 130 kilos) la Rancho affiche sur les pistes quand-même des talents insoupçonnés. Puisque le paraître semble devoir l'emporter sur la réalité des aptitudes au franchissement, l'acheteur pouvait souligner le look ravageur avec un treuil et des phares additionnels en option.
Le moteur "Poissy" de la Simca 1308
Ainsi commercialisée en 1977 comme une Matra-Simca, la Rancho le patronyme se complique à partir de 1979. La Rancho porte dès maintenant le nom de la marque Talbot-Matra, suite à l'intégration de Simca au sein du groupe PSA.
Le succès du véhicule est pourtant immédiat, la Rancho sera écoulée à 56 457 exemplaires entre 1977 et 1983, soit plus du double des prévisions de Matra. Peu étonnant, le concept a été réussi. Si le look fait oublier ses origines utilitaires, avec un décroché au niveau du toit, pouvant accueillir une galerie et un porte-à-faux arrière qui permet de transporter des objets longs et également pour dormir pendant les balades d'un week-end, c'était une voiture bien pratique. Mais malgré ses dimensions, la Rancho n'a jamais été une vraie familiale, aussi, parce que l’accès aux places arrières n’était pas des plus simple.
La Rancho decouvrable, un échec commercial à l'époque, aujourd'hui très demandé par les collectionneurs
Rancho, l'Africaine
La Rancho est présenté à la presse nationale et européenne en avril 1977, dans les Maures, ce massif boisé proche du Golfe de Saint-Tropez qui porte son nom à cause d'une importante présence sarrasine au 8ème et 9ème siècle. C'est n'est pas un hasard que des dizaines de Rancho en "rouge comanche" et "vert tonic" parcourent ici les pistes caillouteuses en terre battu, vu qu'il a été déjà prevu que la Rancho participe à des Rallyes-Raid.
Presentaion de la Simca Matra Rancho dans le département du Var en avril 1977
Ainsi, au premier Paris-Dakar en 1978 une Matra Rancho se présente à la ligne de départ. Côté préparation, le temps est un peu juste. A part de nombreux renforcement, un moteur de 1600 cm3 sera installé sous le capot. Le problème dans ces cas est d’éviter les ingestions de sable au niveau de l’admission avec un système complexe de plusieurs filtres. Sur ce point là, la Rancho n'a pas rencontré des ennuies, mais les nombreux modifications ont augmenté le poids à plus que 1700 kg à vide, et finalement avec une garde au sol trop insuffisante pour des pistes africaines le pilote Benoît Chavane doit affronter d’énormes problèmes de conduite. Mais la Rancho a suivi le rythme, et bien tenu jusqu’au Niger, quand des grosses soucis s'annoncent sur la transmission, et finalement le pont se bloqua. L’aventure s’arrête définitivement à Niamey, la seule course d'une Rancho sur le Dakar.
Rancho, la galère au premier Paris-Dakar en 1978
Dans cette esprit de rallye en Afrique, Matra a prévu de sortir en 1979 une première série spéciale, nommée "Grand Raid", en "vert maquis". Au niveau d’équipements avec des protections inférieures, de projecteurs orientables devant le pare-brise, d’un treuil électrique, un pare-choc avant modifié, et - comme la vrai révolution - d'un différentiel à glissement limité, la Rancho Grand Raid a misé beaucoup sur son allure d'une véritable baroudeuse. Au niveau de finitions, on note des vitres teintés, un cache bagage, des barres de toit et d'autres gadgets. Mais parmi les options un lit couchette invitait pour partir très loin, pour s'offrir des aventures insolites. La Rancho Grand Raid est aujourd'hui difficile à trouver, et sa côte élevée.
Un compromis pour Brejnev
On sait que les leaders de l'URSS ont été des amateurs de belles voitures. On se rappelle de la Rolls-Royce Phantom de Lénine, de la la ZIL-115 de Joseph Staline, de construction soviétique au moins. Une ZiL-111, a été la voiture de Nikita Khroutchtchev, dont un exemplaire à été offert par le dirigeant soviétique à son ami et allié Fidel Castro. Mais le plus important collectionneur a été Leonid Brejnev. Dans son garage on pouvait voir des Maserati, Rolls-Royce, Cadillac, Lincoln, Mercedes..., aussi une Lada, nommé VAZ-Porsche-2103, car poussé par un moteur de la Porsche 924. Lors des visites d'état on l'offrait souvent une voiture comme cadeau personnel. On se rapelle que lors de sa visite en Allemagne en 1973, il a cassé son petit cadeau, une Mercedes Coupé 450 SLC, dans un accident pas loin de Bonn. Evidemment la voiture a été remplacée, pour éviter une crise politique.
Leonid Brejnev au volant de la Mecedes offert par Willy Brandt, peu avant le crash
Et quand Leonid Brejnev est en visite officielle en France en 1978, l'Elysée décide de l'offrir une Rancho. Mais au moment de la remise de cadeau au Secrétaire général du parti communiste d'URSS et Président du Soviet Suprême, c'est la catastrophe: Valérie Giscard d'Estaing a choisi une Rancho verte, et pour Brejnev le vert porte malheur. Ainsi les russes ne descendent même pas de leurs voitures pour receptioner le cadeau. En urgence, et après conseil d'un diplomate soviétique, on a repeint une Matra Rancho en bleu, et le ciel entre la France et l’URSS s'est ensoleillé.
Peinture d'une Rancho dans les usines de Matra à Romorantin
Rancho, la Parisienne
Toujours à Paris, on écrit l'année 1980. Mathieu met les écouteurs de son baladeur sur la tête de Vic, ils commencent à danser le slow, c'est très romantique. "Dreams are my reality"...
Sophie Marceau et Alexandre Sterling,"La Boum" de 1980
Et oui, c'est le film "La Boum" de Claude Pinoteau, avec Sophie Marceau :15 millions d'entrées, et 15 millions de gens qui sortent après la séance, quelques larmes aux yeux... C'est culte, ça montre la vie des ados, qui veulent choisir leurs vies, leurs amours, qu'ils ont du mal à communiquer avec leurs parents. On voit Paris, le lycée Henri IV, Deauville, on parle des vacances à Agadir. Et dans quelle voiture les parents de Vic, François (Claude Brasseur) et Françoise (Brigitte Fossey) l'ont emmené à cette boum ? C'est une superbe Rancho, couleur orange, qui marqua les esprits des cinéphiles. Elle a changé son visage, ce n'est plus la baroudeuse, maintenant c'est une voiture chic de ville.
La Rancho sur le chemin de la boum, au volant Claude Brasseur
Et c'est un vrai phénomène de société, Matra réagit avec d'autres séries spéciales dans ce sens, qui donnent un image haut de gamme, "Loisir", "Découvrable", ou dénommée "Davos", du nom de la célèbre station de ski suisse. Les finitions sont soignés avec entre autres, des jantes en alliage, un intérieur en tweed, compte tour et voltmètre ou des vitres teintée. La Rancho Davos se démarque par ses strippings latéraux bicolores sur les flancs et des porte-skis… On connait pas le nombre d'exemplaires commercialisées, d'ailleurs uniquement en 1980, ainsi sa côte est assez elevée.
Rancho Davos, le charme discret de la bourgoisie ?
Pour l'anecdote, la Rancho sera même adaptée par le couturier André Courrèges, évidemment tout en blanc avec des seules protections latérales style bois. Mais ce prototype restera toutefois dans les cartons, mais inspirent toujours ceux qui restaurent aujourd'hui une Rancho.
La Rancho "Courrèges", luxe, calme et volupté